Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
Je remets en ligne mon article sur la fable de La Fontaine, qui avait disparu au moment de la migration de Canalblog vers Overblog.
Voici donc la fable du Coq et du Renard, en écriture Onciale, laquelle graphie s'écrit à l'origine sans espaces entre les mots, pas évident pour la lecture (voir plus bas des explications sur l'Onciale)
Tout d'abord, voici une petite vidéo avec la mise en forme de la lettrine et du texte
Aquarelle et gouache, encre Montblanc Toffee brown sur papier Vinci
Depuis le VIIe siècle, la mise en place d’espaces entre les mots a permis de développer la lecture silencieuse. Auparavant, les premiers textes écrits étaient quasiment illisibles, car les mots étaient enchaînés sans espaces. Les lecteurs de l’époque devaient jouer les détectives pour dénicher les pauses et les silences entre les mots. Même des érudits comme Cicéron ou saint Augustin étaient contraints de répéter leurs textes à haute voix. Ce mode d’écriture majoritaire pendant l’Antiquité s’appelait en latin “scriptio continua” (écriture continue). Heureusement, grâce aux moines copistes irlandais des VIIe et VIIIe siècles, qui ont introduit les espaces entre les mots, la lecture est devenue plus accessible. L’arrivée de l’espace a également donné naissance à une nouvelle pratique : la lecture silencieuse. Avant cela, la plupart du temps, on lisait à haute voix, faute d’espaces entre les mots. Bien sûr, au Xe siècle, l’arrivée de l’espace entre les mots n’a pas immédiatement provoqué une démocratisation massive de la lecture, mais ce processus de très longue durée a permis de développer un accès à une lecture intime pour le grand nombre, surtout à partir du XVIIIe siècle.
Pour celles et ceux qui ne déchiffrent pas la fable, voici le texte "en clair":
Sur la branche d’un arbre était en sentinelle
Un vieux Coq adroit et matois.
Frère, dit un Renard adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale à cette fois.
Je viens te l’annoncer ; descends que je t’embrasse.
Ne me retarde point de grâce :
Je dois faire aujourd’hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer
Sans nulle crainte à vos affaires ;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir.
Et cependant viens recevoir
Le baiser d’amour fraternelle.
Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle,
Que celle
De cette paix.
Et ce m’est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers,
Qui, je m’assure, sont courriers,
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends ; nous pourrons nous entrebaiser tous.
Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire.
Nous nous réjouirons du succès de l’affaire
Une autre fois. Le galant aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal-content de son stratagème ;
Et notre vieux Coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur :
Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
Merci pour votre passage.